LT 226 au P. Roulland (extrait)
J.M.J.T.
Carmel de Lisieux 9 mai 1897
Mon Frère, J'ai reçu avec joie ou plutôt avec émotion les reliques que vous avez bien voulu m'envoyer, votre lettre est presque une lettre d'au revoir pour le Ciel, il me semblait en la lisant entendre le récit des épreuves de vos ancêtres dans l'apostolat. Sur cette terre où tout change, une seule chose reste stable, c'est la conduite du Roi des cieux à l'égard de ses amis·; depuis qu'Il a levé l'étendard de la Croix, c'est à son ombre que tous doivent combattre et remporter la victoire·: «Toute vie de Missionnaire est féconde en Croix» disait Th.·Vénard, et encore·: «Le vrai bonheur est de souffrir. Et pour vivre il nous faut mourir.» Mon Frère, les débuts de votre apostolat sont marqués du sceau de la croix, le Seigneur vous traite en privilégié·; c'est bien plus par la persécution et par la souffrance que par de brillantes prédications qu'Il veut affermir son règne dans les âmes. ·Vous dites·: «Je suis encore un petit enfant qui ne sait pas parler.» Le P. Mazel qui fut ordonné prêtre le même jour que vous, ne savait pas parler non plus, cependant il a déjà cueilli la palme... Oh·! que les pensées divines sont au-dessus des nôtres·!... En apprenant la mort de ce jeune missionnaire que j'entendais nommer pour la première fois, je me suis sentie portée à l'invoquer, il me semblait le voir au Ciel dans le glorieux choeur des Martyrs. Je le sais, aux yeux des hommes son martyre ne porte pas ce nom, mais au regard du bon Dieu ce sacrifice sans gloire n'est pas moins fécond que ceux des premiers chrétiens qui confessèrent leur foi devant les tribunaux. La persécution a changé de forme, les apôtres du Christ n'ont pas changé de sentiments, aussi leur Divin Maître ne saurait changer ses récompenses à moins que ce ne soit pour les augmenter en comparaison de la gloire qui leur est refusée ici-bas.
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